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Seule une rupture profonde et radicale nous donnerait la possibilité de reconstruire l’État congolais
L’agression des gouvernements occidentaux a infligé de nombreux holocaustes au peuple congolais, explique l’historienne congolaise Bénédicte Kumbi Ndjoko à Ann Garrison.
Cette semaine, j’ai parlé à l’historienne et militante suisso-congolaise Bénédicte Kumbi Ndjoko à propos des récents développements dans la République démocratique du Congo. Elle a déclaré : « Au Congo, le capitalisme mondialisé crée un chaos permanent »
Ann Garrison: Le 12 février 2018, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés rapporté qu’il y avait 4.49 millions de personnes déplacées (PDI) à l’intérieur de la République démocratique du Congo et 630 500 réfugiés dans les pays voisins. La population déplacée a presque doublé au cours de la seule année dernière, principalement à la suite d’affrontements et d’attaques armées et il semble que les conditions sur le terrain au Congo se détériorent de plus en plus.
Bénédicte Kumbi Ndjoko: Le Congo se trouve en effet dans une situation critique. Nous savons combien sa population a souffert depuis les génocides au Rwanda et tous les déplacements qu’elle a provoqués, puis par les guerres que le Rwanda et l’Ouganda ont menées contre le Congo de 1996 à 1997 puis de 1997 à 2003, avec le soutien des États-Unis, du Royaume-Uni et de leurs alliés.
Aujourd’hui certains observateurs parlent du Congo comme d’un pays post-conflit, mais il est toujours pris dans un conflit de basse intensité, ouvert ou non, chaud ou froid. Un conflit qui se prolonge ainsi peut devenir même plus meurtrier qu’une guerre déclarée, comme c’est le cas dans les provinces du Nord et du Sud Kivu, à la frontière du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi. Plus d’un million des 4.49 millions de personnes déplacées à l’intérieur sont dans la province du Nord-Kivu.
Ces deux dernières années, la situation s’est également détériorée dans la région du Kasaï, où les personnes sont exterminées ou déplacées en Angola. Les attaques ont aussi augmenté contre les populations de l’ancienne province du Katanga, qui a été divisée en 2015 en plusieurs provinces, celle du Tanganika, du Haut-Lomami, de Lualaba et du Haut-Katanga. Le Congo et son peuple ne sont pas au bord de l’abîme, ils y sont tombés depuis longtemps.
« Les gens sont exterminés dans la région du Kasaï ou déplacés en Angola »
C’est difficile de savoir quoi dire à propos de tant de souffrance. Que préféreriez-vous en dire ici ?
La souffrance devrait inspirer de la compassion, mais la compassion devrait inspirer la réflexion. La personne qui regarde un être humain souffrir est-elle capable de se demander si elle n’est pas impliquée d’une manière ou d’une autre dans la souffrance de l’individu qui se trouve devant elle ? Peut-elle saisir les causes des crimes perpétrés contre cet être humain et les implications politiques qui découlent de ces actes ?
Si nous nous arrêtons à la souffrance des Congolais, nous ne serons pas en mesure de nous attaquer à ses particularités et à ses causes. Ce ne sera pas différence des images déprimantes et fatalistes qui ont façonné l’image de l’Afrique dans l’esprit des gens. Nous devons considérer l’agression impérialiste des gouvernements occidentaux contre le Congo et l’Afrique dans son ensemble.
Le Dr Denis Mukwege, le gynécologue congolais connu comme « l’homme qui guérit les femmes » parce qu’il a soigné les victimes de viols brutaux dans l’est du Congo, a finalement reçu le prix Nobel de la paix cette année. Cela vous donne-t-il de l’espoir ?
J’ai eu l’occasion de rencontrer le Dr Mukwege en personne. J’ai vu cet homme avec des femmes du monde entier, qui avaient toutes été violées pendant des conflits. Elles venaient du Congo du Rwanda, du Soudan, de Syrie et d’Irak. J’ai pu voir comment cet homme parlait à ces femmes, la sollicitude qu’il avait pour elles et sa façon de leur dire que leur parole comptait. Il a toute mon admiration.
Cela dit, il me semble qu’il y a quelque chose de cynique à lui décerner le prix Nobel de la paix. C’est une réalité organisée et mise en scène qui efface l’agression impérialiste au Congo et encourage un consensus global pour mettre fin aux viols mais continuer la guerre. Du coup, le public occidental du prix Nobel de la paix se sent en paix avec lui-même et avec sa réponse pleine de compassion aux victimes de la sauvagerie africaine.
Cela a été renforcé par Nadia Murad, la survivante irakienne de viols qui partage cette année le prix Nobel de la paix avec le Dr Mukwege. Elle a déclaré qu’elle continuerait à défendre les victimes de viol et de torture et des minorités persécutés comme la minorité yazidie à laquelle elle appartient.
« Le prix Nobel de la paix encourage un consensus global pour mettre fin aux viols mais continuer la guerre »
Le discours profondément politique imposé par le Comité Nobel vise à renforcer l’ordre dominant et non à le troubler. Il fait partir de la volonté occidentale d’écrire l’histoire officielle, où l’important est de construire un discours sur les femmes, sur les brutalités qu’elles doivent endurer. C’est un discours totalement accepté dans les sociétés occidentales à cause des batailles féministes.
Dans ce discours, le Dr Mukwege est l’homme de l’entre- deux-mondes, un homme noir destiné à devenir blanc. Il est comme l’homme blanc qui sait comment défendre les droits des femmes contre la barbarie des hommes non civilisés – les Noirs dans ce cas – qui sont fondamentalement définis par leur sauvagerie.
Le viol masculin est aussi une arme de guerre au Congo et ailleurs. Il est rarement rapporté bien qu’il ait fait l’objet d’une certaine attention dans l’article « Le Comité Nobel donne un coup de projecteur sur le viol dans les conflits », paru le 11 octobre dans The Economist. Il expliquait qu’il est difficile d’estimer sa fréquence parce que beaucoup d’hommes ont peur de le rapporter parce qu’ils sont si humiliés et que beaucoup craignent d’être accusés du crime d’homosexualité. Le projet de loi sur les réfugiés de l’Ouganda l’a expliqué en profondeur dans son film Gender Against Men , que je recommande à tous eux qui lisent ceci. Le viol des hommes et des femmes comme arme pour détruire une communauté montre plus clairement qu’il y a un génocide en cours contre le peuple congolais, et pas seulement un « féminicide ». Pourriez-vous nous dire pourquoi l’accent particulier mis sur la violence contre les femmes cache cette dimension ?
J’ai toujours été troublée par le discours de Margaret Wallström, l’ancienne envoyée spéciale de l’ONU pour la violence contre les femmes et les enfants dans les conflits. En 2010, après un séjour au Congo, elle a affirmé que le pays était la capitale mondiale du viol et a exhorté le Conseil de sécurité à agir pour y mettre fin. Cette déclaration associait le crime du viol avec une nation spécifique, le Congo, et avec tous les individus mâles qui s’y trouvent. Le mot « capitale » désigne l’endroit le plus central, le cerveau et le cœur d’un pays, le porteur des valeurs culturelles. L’une des valeurs culturelles du Congo serait donc le viol ?
Cette perception d’une société congolaise pathologique remplie de violeurs mâles est aussi partagée par de nombreuses femmes occidentales qui font campagne en faveur des femmes congolaises, comme Eve Ensler. Elles vont jusqu’à qualifier ce qui se passe au Congo de féminicide, une guerre contre les femmes. Cela dépeint l’homme congolais comme un violeur atavique.
« Cette perception d’une société congolaise pathologique remplie de violeurs mâles est aussi partagée par de nombreuses femmes occidentales qui font campagne en faveur des femmes congolaises »
Cet accent extrême mis sur les corps des femmes congolaises n’est pas destiné à les défendre mais fait partie d’un discours plus large sur la sauvagerie des hommes congolais et des populations masculines africaines noires en général. Le Congo est la capitale mondiale du viol. Le Congo est la capitale d’une nation sauvage au cœur de l’Afrique noire où les hommes congolais violent les femmes pour les détruire. Qui pourrait regretter de voir une société aussi déviante disparaître de la surface de la terre ?
L’envoyée des Nations unies Margaret Wallström n’a pas appelé à mettre fin à la guerre impérialiste menée contre le Congo et l’Afrique en général. Elle n’a rien dit sur les puissances impérialistes qui ont commandité les crimes de guerre, y compris les viols, contre le peuple congolais. Elle n’a pas appelé le Conseil de sécurité à créer un tribunal pour poursuivre les crimes mis en évidence dans le Rapport 2010 du projet Mapping concernant les violations des droits de l’homme dans la République démocratique du Congo 1993-2003, qui a révélé de manière très significative les crimes du vieil allié des États-Unis, le Rwanda. Au lieu de quoi, elle a qualifié le Congo de capitale du viol et a appelé le Conseil de sécurité à intervenir contre les hommes congolais, ces sauvages.
Certaines personnes ont proposé que le Dr Mukwege, l’autorité morale la plus internationalement reconnue au Congo, y dirige un gouvernement de transition. Il s’agit de nos amis communs Patrick Mbecko et Jean-Claude Maswana, tous deux des universitaires et militants congolais très respectés. Que pensez-vous de cette idée et comment imaginez-vous un « gouvernement de transition » au Congo ?
En fait, je me demande souvent ce que les gens veulent dire lorsqu’ils affirment qu’ils veulent un gouvernement de transition. Je suis sûre que nos amis Patrick Mbecko et Jean-Claude Maswana ont des idées très précises de ce que cela signifie, mais lorsque je lis de nombreux autres Congolais sur la « transition », il semble que ce soit une sorte de cabas magique qui devrait nous aider à nous débarrasser du président Joseph Kabila, de ses troupes et des occupants rwandais.
Cela n’aborde en aucune manière, le problème du néocolonialisme, par exemple, ou le cas de la soi-disant opposition congolaise. Cette dernière est, à mon avis, formée de gens qui doivent être éloignés de la sphère politique au Congo. Ils ont participé de manière flagrante au soutien du règne tyrannique de Kabila, même lorsque la prétendue Constitution ne lui permettait plus de rester au pouvoir. En plus, ils n’ont jamais eu le courage d’expliquer à la population quel rôle ont joué le Rwanda et l’Ouganda dans la tragédie du Congo. Allons-nous les inclure dans ce gouvernement de transition ? La transition présentée de cette façon ne m’attire pas, même si elle est dirigée par le Dr Mukwege.
« Seule une rupture profonde et radicale nous donnerait la possibilité de reconstruire l’État congolais »
Je souscris plutôt à l’idée d’un autre de mes amis, le père Jean-Pierre Mbelu. Pour lui, nous ne pouvons pas parler de gouvernement de transition au Congo parce que cela présuppose qu’il y a eu une forme de démocratie qui devrait être restaurée après une période de crise.
Le problème du Congo, cependant, ne se résume pas à une crise politique. Le pays est plutôt soumis à un coup d’État permanent, et seule une rupture profonde et radicale nous donnerait la possibilité de reconstruire l’État.
L’appel aux transitions a été la solution que la communauté internationale a voulu systématiser dans plusieurs pays africains, dont le Congo, mais ses résultats laissent beaucoup à désirer. La transition à l’écart de Kabila, selon moi, lui donne trop de poids. Cela n’insiste pas assez sur la révélation de qui a créé Kabila et ne nous informe pas sur le genre de gouvernement et de société que nous voulons construire après lui.
Les démocrates libéraux et même les gens de gauche aux États-Unis sont tellement horrifiés aujourd’hui par Donald Trump que notre politique se réduit largement à une politique pro et anti Trump. Vous avez le même problème concernant Kabila au Congo, n’est-ce pas ?
Oui, et c’est une position éminemment dangereuse parce que cela signifie en fait que nous n’avons pas le choix. C’est un enfermement dans un cercle dichotomique qui ne permet aucune échappatoire ni possibilité d’imaginer d’autres systèmes que ceux qui existent. Dans ce cas, nous sommes en plein dans une illusion démocratique. La démocratie, dans cette acception, est le droit d’être pour ou contre. C’est le droit de changer entre deux faces d’une même pièce alors que l’idéologie qui crée la pièce reste inchangée.
C’est le problème fondamental posé par le capitalisme. C’est en effet un système qui organise un non-choix, qui crée l’illusion du choix au profit des oligarchies qui nous gouvernent. La tragédie des pays comme les nôtres est qu’ils courent après ce qu’ils croient être la démocratie, un système binaire où il est seulement possible d’être pour ou anti X. C’est même encore plus triste, parce que nous avons oublié que ce système binaire n’a jamais existé sur le continent africain avant la colonisation, mais que des formes de démocratie réelle oui, en particulier dans le royaume de Kongo.
Quelles autres formes d’organisation sont nécessaires pour soulager les souffrances et mettre les Congolais sur la voie de la revendication des immenses richesses et du potentiel de leur pays ?
Si nous pensons au changement, nous devons comprendre que nous vivons tous dans le contexte du capitalisme mondialisé. Nous devons aussi comprendre que le capitalisme apparaît sous des figures et des formes différentes selon l’espace qu’il vise.
Au Congo, il crée un chaos permanent afin de maintenir les gens dans ce chaos, sans frontières à la violence parce que l’État n’existe que comme le simulacre le plus minimal des institutions occidentales. Ce sont les conditions préalables pour piller le pays, pour siphonner ses ressources naturelles, dont certaines ont été déclarées stratégiques pour la sécurité américaine.
Non seulement cela tue et déplace les Congolais mais cela détruit leurs communautés et donc les désoriente au point qu’ils sont incapables de comprendre le monde capitaliste et le rôle auquel le Congo est relégué en son sein. Cela annule leur capacité à se défendre. Il faut comprendre et élargir la compréhension de ce phénomène pour riposter efficacement et provoquer un changement.
L’individu seul, même s’il ou si elle comprend ce qui est en jeu, ne peut rien changer, mais le Congo se fait marteler, encore et encore, l’idée que seul un individu peut changer le cours des événements, donc les gens attendent cet individu particulier. Il n’est donc pas surprenant de voir l’accent extrême mis sur la question de savoir qui sera le prochain président. C’est extrêmement désorientant. C’est un élément fondamental de la collaboration entre la classe nationale compradore et les impérialistes, qui résume l’histoire politique du Congo depuis son indépendance.
« La souveraineté politique ne peut être reconquise qu’au niveau d’une communauté démocratique, où des politiques en faveur des pauvres et fondées sur les droits peuvent être élaborées et finalement façonner l’avenir du Congo »
Nous devons donc inverser les choses de manière à répartir le pouvoir de la base au sommet. C’est important, non pour l’individu mais pour les communautés, de gagner un certain degré de contrôle sur différents aspects de leur vie quotidienne. Cela signifie que nous avons d’organisations de base solides capables de fournir de l’énergie et d’entreprendre des actions collectives pour contester l’ordre existant.
Un tel engagement requiert que les Congolais comprennent que le pouvoir tel qu’il existe est une construction sociale mise en place par les colonisateurs il y a 500 ans. La souveraineté politique ne peut être reconquise qu’au niveau d’une communauté démocratique, où des politiques en faveur des pauvres et fondées sur les droits peuvent être élaborées et finalement façonner l’avenir du Congo.
Encore une fois, le Congo a connu par le passé ces formes d’organisations communautaires, nous devons les retrouver et les adapter pour vaincre les réalités du néolibéralisme tel qu’il se distingue du colonialisme formel et du néocolonialisme.
Il faudra aussi organiser des forces d’autodéfense, parce que nous ne devons pas nous leurrer. Ceux qui nous exploitent ont des armes et ils ne sont pas prêts à lâcher le Congo. Ce doit être une guerre de libération.
Enfin, pourriez-vous faire le point sur les derniers développements de l’occupation du Congo par le Rwanda ? Les prisonniers politiques rwandais Victoire Ingabire et Kizito Mihigo ont été libérés au début du mois. Ensuite, la semaine dernière, la ministre rwandaise des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo a obtenu son investiture comme présidente de l’Organisation internationale de La Francophonie . La semaine dernière également, un procureur a demandé à un juge français d’abandonner les poursuites contre des officiers de l’Armée patriotique rwandaise pour les assassinats du président du Rwanda Juvenal Habyarimana et du président du Burundi Cyprien Ntaryamira en 1994.
Ces deux dernières années, Kabila, qui est le proconsul de Kigali au Congo, a œuvré au renforcement de l’occupation rwandaise du pays en nommant des officiers supérieurs tutsis dans l’armée nationale et en désignant des hommes comme Azarias Ruberwa à la tête du ministère de la Décentralisation, que les Congolais nomment le ministère de la balkanisation.
Cela montre que le président rwandais Paul Kagame et ceux qui l’entourent n’ont aucune intention de se retirer du Congo, un pays dont la richesse leur permet de construire de grands bâtiments rutilants dans leur capitale, puis de les montrer comme preuve de la croissance économique du Rwanda, même si la plupart des Rwandais sont encore très pauvres et que le pays dépend toujours de l’aide étrangère pour 40% de son budget annuel.
La surface brillante du Rwanda et la fable largement répandue sur sa croissance économique confère aussi de la crédibilité à Kagame auprès des Africains, et c’est pourquoi la nomination de Mushikiwabo a été plutôt bien reçue en Afrique.
La plupart des Africains, comme le reste du monde, sont mal informés sur les réalités rwandaises. Ils ont interprété la nomination de Mushikiwabo comme la victoire d’un dirigeant africain contre l’Europe, contre la France en particulier. Ils oublient que la France joue un rôle dirigeant dans La Francophonie et la France a choisi Mushikiwabo. [Voir « The ugly facts about the Francophonie. » [Les vilaines réalités de la Francophonie]
Lorsque la France dit qu’elle veut une personne spécifique pour diriger l’organisation, elle obtient la plupart du temps ce qu’elle veut.
« Le président rwandais Paul Kagame et ceux qui l’entourent n’ont aucune intention de se retirer du Congo »
Avoir Mushikiwabo comme présidente est une manière pour la France de regagner en Afrique centrale l’influence qu’elle a perdue au profit des États-Unis après l’arrivée de Bill Clinton à la Maison Blanche. Dans ce marchandage franco-rwandais – parce que c’est ça – Kagame doit avoir demandé que la vieille enquête française sur son attaque contre l’avion du président Juvenal Habyarimana soit définitivement close parce que c’était une réfutation sérieuse du panégyrique clamant qu’il est le sauveur du Rwanda.
Certains appellent cela une victoire de la diplomatie rwandaise, mais cela ressemble plus à un petit tueur à gages au milieu d’une mafia internationale qui utilise le chantage pour arriver à ses fins. Du côté français du marché, cela les aide à rétablir l’accès de la France au sous-sol immensément riche du Congo.
Il est aussi important pour la France de ne pas apparaître comme associés à un régime brutal qui emprisonne les opposantes féminines. Donc Kagame a été contraint de libérer les prisonnières politiques Victoire Ingabire Umuhoza et Diane Rwigara pour redorer son image. Dans un pays qui se vante d’avoir travaillé si dur en faveur de l’avancement des femmes, ces prisonnières politiques très connues, qui ont toutes deux tenté de défier Kagame pour la présidence, ont énormément nui à son image.
Mais la bonne nouvelle est que ces deux femmes ont refusé de se taire sur ce qui se passe au Rwanda après leur libération. Elles annoncent un avenir beaucoup plus difficile pour Kagame et le système mortel qu’il a mis en place. C’est donc une grande joie de voir ces femmes à nouveau libres et plus déterminées que jamais. Elles font partie des dirigeants et des organisateurs que cette région qui souffre depuis longtemps a espérés.
Ann Garrison est une journaliste indépendante vivant dans la région de la baie de San Francisco. En 2014, elle a reçu le prix Victoire Ingabire Umuhoza pour la Démocratie et la Paix pour ses reportages sur le conflit dans la région africaine des Grands Lacs. On peut lui écrire à ann@anngarrison.com.
Photo : Bénédicte Kumbi Ndjoko
Traduit par Diane Gilliard pour Investig’Action
Procès assassinat du général rwandais Kayumba Nyamwasa: des révélations qui devraient mettre Kigali mal a l’aise!
En juin 2010, l’ancien chef d’état-major du Rwanda, le général Kayumba Nyamwasa, aujourd’hui en exil, avait été visé par une tentative d'assassinat. Le procès de ceux qui sont accusés d’avoir mené cette attaque a repris hier, samedi 24 août, à la cour régionale de justice de Johannesburg avec le témoignage du principal accusé, un jeune homme d’affaires belgo-rwandais, Pascal Kanyandekwe. Pour le parquet, il aurait été envoyé par le gouvernement rwandais en Afrique du sud pour organiser cette attaque.
Interrogé par son avocat, Pascal Kanyandekwe assure n’être venu que pour ses affaires en Afrique du sud, il assure être le patron de plusieurs compagnies au Rwanda comme au Burundi et avoir une centaine d’employés. S’il est venu en juin 2010, c’était pour acheter des avions pour ses clients et pas pour organiser une attaque contre le général Kayumba Nyamwasa.
L’ancien chef d’état-major du Rwanda est dans la salle d’audience. Il écoute. A aucun moment, le principal accusé dans cette affaire ne se tournera vers lui. « Je n’ai jamais participé à aucune activité illégale », assure Pascal Kanyandekwe, ajoutant qu’il a été élevé dans une famille très croyante, qu’il n’a jamais touché à une arme de sa vie.
Le principal accusé nie tout
Quand son avocat l’interroge sur le sac qu’il a en main, le jeune homme de 32 ans demande à le voir de plus près. C’est bien son sac, mais il ajoute qu’il n’était pas déchiré avant son arrestation. Le procureur sourit et dit que c’était il y a trois ans.
L’avocat de Pascal Kanyandekwe fait ensuite l’inventaire des affaires que la police dit avoir trouvé à l’intérieur et demande à son client s’il les reconnaît. Parmi elles, une photo du chauffeur de l’époque du général Kayumba Nyamwasa, qui se trouve lui aussi sur le banc des accusés. Pascal Kanyandekwe affirme n’avoir jamais vu cette photo.
L’accusé numéro 6 murmure, mais il dément tout ce dont le procureur l’accuse : avoir recruté le commando, supervisé l’attaque, tenté de soudoyer la police. Le procureur, lui, s’est dit convaincu d’être capable samedi prochain de le mettre face à ses contradictions.
Jean-Baptiste Mberabahizi: "Tant qu’à Kigali, il n’y aura pas un gouvernement démocratique, la RDC n’aura pas la paix et l’Est de ce pays demeurera une poudrière. "
Des élections législatives ont eu lieu lundi 15 septembre.
Comme dans toute dictature, les résultats étaient prévisibles. La liste du FPR a obtenu la majorité absolue, 42 sièges sur les 53. Quant aux deux autres partis, le PSD (Parti social démocrate) a obtenu 7 sièges et le PL (Parti libéral) a obtenu 4 sièges. Remarquons que ces deux partis ne relèvent pas de l’opposition. En 2003, ils avaient soutenu la candidature de Paul Kagame à la présidentielle où il avait recueilli 95,05 % des suffrages. Entre temps, la guerre commanditée par ce même Paul Kagame continue à faire des ravages à l'Est du Congo. Sans que l'Occident ne proteste.
Pour découvrir la réalité de la dictature qui règne sur le Rwanda et entendre un autre son de cloche que celui de Kagame, voici l’interview que Jean-Baptiste Mberabahizi, secrétaire-général et porte-parole des FDU (Forces Démocratiques Unifiées), principale organisation de l’opposition rwandaise, nous a accordée depuis Bruxelles.
L’interview a été publiée mardi dans L’Avenir, journal qui parait à Kinshasa.
Question : Paul Kagame dit que les élections législatives qui commenceront ce lundi 15 septembre sont « un processus démocratique ». Il dit : « Les Rwandais auront le droit de choisir librement et régulièrement leurs dirigeants. ». Pourquoi l’opposition rwandaise ne participe-t-elle pas à ces élections ?
Jean-Baptiste Mberabahizi : Parce que les Rwandais ne sont pas libres de choisir leurs dirigeants. Il n’y a pas de liberté dans le pays. On ne peut pas parler de processus démocratique quand il n’existe pas les conditions minimales pour une élection démocratique. La constitution ne permet pas la liberté de l’activité politique, la presse n’est pas libre. Dernièrement il y a encore un journaliste qui a été expulsé vers la Tanzanie. Il collaborait à « Umeseso », un journal qui fait montre d’un tout petit peu d’indépendance vis-à-vis du pouvoir. En plus, les lois qui régissent les partis politiques, la conduite des élections, la composition et le fonctionnement de la commission électorale, comportent tellement de limitations qu’il est tout simplement ridicule de sa part de parler de processus démocratique. C’ est tout simplement du cynisme.
Question : Pouvez-vous nous donner quelques exemples de ces limitations à la liberté de l’activité politique ?
Jean-Baptiste Mberabahizi : Premièrement, tous les partis politiques ont le devoir de faire partie de ce qu’on appelle le « Forum de Concertation » des partis politiques. Donc, s’ils veulent être actifs légalement, ils doivent obligatoirement être membres de ce « forum » qui est financé par l’Etat, qui prend ses décisions par consensus et qui peut s’immiscer dans les affaires internes des partis. Ce forum présidé par le secrétaire général et le secrétaire permanent du FPR, est aussi un cadre du FPR. Cela fait du régime politique rwandais un régime à parti unique de fait.
La deuxième limitation est le fait que les partis politiques ne peuvent pas fonctionner sur tout le territoire national. Le régime a agi de telle façon que les partis politiques n’ont pas de structures au niveau local. Le plus grave je trouve, c’est que la sécurité n’existe pas pour les dirigeants de l’opposition. L’ancien président Pasteur Bizimungu a été emprisonné puis libéré sans aucune explication. Il avait été arrêté pour la simple raison qu’il avait tenté de créer un parti politique indépendant du FPR. D’ailleurs, l’un des codirigeants de ce parti, Charles Ntkirutinka, ancien ministre des travaux publics après 1994, se trouve en prison jusqu’à présent. C’est pour dire que toute possibilité de contester la politique du FPR légalement ou pacifiquement est simplement empêchée au Rwanda.
Il y a aussi l’exemple de l’ancien secrétaire d’Etat à la planification économique, Charles Kabanda, qui a voulu créer un parti juste avant les élections de 2003. C’était l’ADEP-Amisero, un parti qui n’a jamais pu voir le jour. La raison principale c’était que ce parti n’était pas inféodé au FPR et qu’il aurait représenté une véritable opposition au régime.
Troisièmement, les structures de sécurité de l’Etat, notamment de la police et des services de renseignements sont anti-démocratiques et ne peuvent absolument pas garantir la sécurité des opposants. Par exemple, l’activité principale de la principale organisation des renseignements est appelée « cushing the opposition », donc « traquer les opposants », et elle va jusqu’à les poursuivre à l’étranger. Par exemple, elle a assassiné à Nairobi, le 16 mai 1998, Seth Sendashonga, l’un des fondateurs des Forces de résistance pour la démocratie (FRD), l’une des organisations fondatrices des FDU. Ce n’est pas dans des conditions pareilles que l’on peut parler d’élections démocratiques.
Quatrièmement, j’ai parlé tantôt de la loi électorale. La commission électorale est présidée par un membre du Comité exécutif du FPR, Chrysologue Karangwa. Elle ne comprend évidemment aucun membre d’un parti politique indépendant du FPR. D’ailleurs cela n’existe pas. Il y a neuf partis politiques y compris le FPR. Six d’entre eux présentent des candidats sur la liste du FPR. Ce sont en fait des factions du FPR. Les deux qui restent sont le parti libéral et le parti social-démocrate.
Le parti libéral est présidé par un soldat de l’armée rwandaise, Protais Mitali. A ma connaissance, il n’a jamais quitté l’armée. En plus, les membres de ce parti ont, depuis la guerre de 90, toujours été en même temps des membres du FPR.
Quant au parti social-démocrate, la situation n’est pas meilleure. Son président, Vincent Biruta, est aussi le président du sénat et il est aussi membre du FPR depuis 1991. Il fait semblant d’être un opposant mais en réalité, il est membre du FPR.
Enfin, le plus grave, et qui n’a rien à voir avec la législation ou le fonctionnement des partis politiques, c’est le fait que la plupart des dirigeants politiques et militaires du FPR sont suspectés d’avoir commis des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.
Certains ont été commis au Rwanda, d’autres ont été commis en RDC. Certains entre 1990 et 1994 et d’autres après 1994. Certains ont été qualifiés de crimes contre l’humanité, voire de génocides ou de crimes de guerre.
Les populations qui ont été victimes de ces crimes-là, n’ont aucun moyen de s’exprimer. Quand vous avez devant vous des gens qui viennent vous demander de voter pour eux, alors que vous n’avez même pas le droit d’enterrer vos morts, que vous êtes un paria dans votre propre pays, alors on ne peut décemment pas parler de processus démocratique.
En Afrique du Sud, sous l’apartheid, la majorité des Sud-Africains ne pouvaient pas voter. C’est pareil au Rwanda. La seule différence, c’est que Kagame prétend qu’il n’y a plus de discrimination ethnique et que tous les Rwandais sont égaux et qu’en même temps, il met tout en œuvre pour empêcher toute possibilité de contester la discrimination ethnique qui existe dans le pays.
Question : Le bilan que Kagame fait de ses réalisations, ainsi que les perspectives qu’il se donne semblent ambitieux. Il déclare avoir « bataillé très dur » et il veut qu’en 2020, « le produit intérieur brut soit de 900 dollars par citoyen ».
Jean-Baptiste Mberabahizi : C’est un gros mensonge. L’année passée, en 2007, une équipe pluridisciplinaire du PNUD a rédigé un rapport sur le développement humain au Rwanda. Le titre est « transformer la vision 2020 en réalité ».
La description dans ce rapport des conditions de vie de la population rwandaise est tout le contraire de ce que Kagame met en avant dans son bilan.
Entre 1994 et 2005, les revenus des 20% des Rwandais les plus riches ont doublé pendant que ceux des 20% des plus pauvres ont soit stagné, soit diminué.
Le rapport constate que, sur 3 des 5 provinces, la pauvreté a augmenté et que dans les autres, la pauvreté s’est même approfondie.
80% des Rwandais vivant à la campagne vivent en dessous du seuil de la pauvreté. En ville ce chiffre est de 60%.
Le taux de mortalité infantile reste en dessous du niveau de 1990 et il reste inférieur à celui de la région. L’espérance de vie des Rwandais est aujourd’hui de 44 ans, alors qu’avant la guerre il était de 49 ans.
En plus, le niveau du PIB (produit intérieur brut) n’a pas augmenté au dessus du niveau d’avant la guerre en 1990. En 2007 il était à 361$ par personne. L’amélioration vantée pour les années 2000, 2001 et 2002, correspondent avec l’occupation et le pillage des ressources de la RDC.
En plus, cette amélioration ne se situe pas au niveau qu’on aurait pu atteindre si on tient compte avec l’aide extérieure massive dont le Rwanda bénéficie depuis 10 ans, une aide qui est en moyenne de 400 à 500 millions $ par an. L’impact de l’aide est donc largement en dessous des possibilités.
Le rapport confirme aussi que le Rwanda se trouve parmi les 15 pays les plus inégalitaires au monde. Les 20% des plus riches détiennent 51,4% du PIB, alors que les 20% les plus pauvres survivent avec seulement 5,4% du PIB. Le rapport note aussi que si la répartition des revenus était restée la même qu’avant la guerre en 90, le revenu des 20% les plus pauvres auraient pu doubler.
Donc, le second problème le plus aigu du régime FPR, c’est que ce régime est profondément inégalitaire. Par exemple, alors que 90% de la population rwandaise vit à la campagne, il n’y a que 3% du budget gouvernemental qui est consacré à l’agriculture.
Alors on regarde où vont les crédits des banques ? Ce pourquoi on mobilise et à quoi on affecte l’épargne des Rwandais ? 60% des crédits vont en ville pour des projets de construction ou du commerce import/export.
D’ailleurs, on voit cela à Kigali, les chantiers ne concernent presque rien d’autre que des bâtiments, surtout privés. Et on emploie cela comme une sorte de vitrine, pour montrer au monde entier que le régime est actif et réalise des « miracles ».
Quand on regarde combien de crédits vont aux secteurs de l’énergie, de l’eau, et agriculture, cela ne dépasse guère le niveau de 4%.
La meilleure illustration du caractère inégalitaire du régime est bien la différence entre le revenu officiel mensuel de Kagame qui est de 26.000$ par mois (selon l’arrêté présidentiel qui règle les émoluments et les indemnités des dirigeants du pays) et le revenu d’un soldat simple de l’armée rwandaise qui est de 41$ par mois. Devant un bilan pareil, je crois que Kagame ferait mieux d’être modeste et même de demander pardon.
Ce rapport a d’ailleurs fait l’objet d’une grande polémique. Le gouvernement a fait pression sur le PNUD, cela n’a rien changé au rapport, mais le PNUD a dû publier un addendum où on a fait du rafistolage de ce rapport, pour redorer son sale blason.
Question : Dans cette interview, Paul Kagame se présente aussi comme un homme qui ose aller à l’encontre de l’Occident. Il dit : « il n’y a pas deux justices, l’une qui serait appliquée à l’Ouest et une autre justice qui serait réservée aux pays en développement. »
Jean-Baptiste Mberabahizi : Paul Kagame est un agent de l’impérialisme américain en Afrique.
Il a signé un accord bilatéral dans lequel il garantit l’impunité aux ressortissants américains en cas de poursuite par la Cour pénale internationale.
Depuis 1998 jusqu’à aujourd’hui, il mène une guerre par procuration pour le compte des Etats-Unis et du Royaume-Uni contre la RDC. Une guerre qui a fait 5,4 millions de morts.
Lors de l’invasion de l’Irak par l’armée américaine en 2003, Kagame était un des seuls dirigeants africains à soutenir cette guerre, même si cette guerre était jugée illégitime par les Nations-Unies. Lors de l’élection du Président de la Banque Africaine de Développement, Kagame a aidé les Occidentaux à imposer leur candidat, son ministre des finances d’alors et commissaire aux finances du FPR, Donald Kaberuka, contre le candidat proposé par le groupe des pays africains, un ressortissant nigérian jugé indomptable par les Occidentaux.
N’oublions enfin pas le fait qu’il y a une semaine l’armée rwandaise a reçu de la part des Etats-Unis 20 millions $ d’équipements militaires et que cette armée est liée à l’armée américaine à travers des accords particuliers dans le domaine de l’information et de la logistique. Ce sont des accords de caractère néocolonial qui font que l’armée de Kagame est une organisation supplétive pour l’armée américaine dans la région et en Afrique.
Comment est-ce que dans ces conditions, Kagame peut se présenter comme un anti-impérialiste ?
Question : Pourquoi Kagame s’en prend-t-il à la France ?
Jean-Baptiste Mberabahizi : La France est une puissance en déclin. Ce n’est certainement pas la puissance la plus dangereuse dans le monde aujourd’hui.
Kagame s’attaque à la France pour des raisons d’intérêts politiques. Il joue la carte anti-française pour continuer à profiter de la protection des ses maîtres britanniques et américains.
Il y a naturellement aussi le fait que Paul Kagame a commis des crimes. Les Français n’ont pas commencé l’instruction concernant l’affaire de l’attentat contre l’avion présidentiel rwandais, abattu le 6 avril 1994, parce qu’ils n’aimaient pas Kagame. Cette instruction est le résultat d’un dépôt de plainte de la part des familles des membres de l’équipage français de l’avion de Habyarimana, qui ont péri dans cet attentat. L’enquête n’a fait que mettre à nu la responsabilité de Paul Kagame. Pour se défendre, il attaque la France en tant qu’Etat et tente de se faire passer aux yeux des Africains surtout des Africains francophones pour un anti-néocolonialiste. Ce qui est du pur cynisme.
D’abord la thèse qui prétend que ce sont les extrémistes hutus qui ont abattu l’avion n’a pas de sens. Dans cet avion se trouvaient des personnes que le FPR a toujours accusées d’être les cerveaux des extrémistes hutus, notamment le Colonel Elie Sagatwa et le Général Deogratias Nsabimana. Comment peut-on les accuser d’avoir commandité l’attentat qui devait les emporter eux-mêmes ?
Ensuite, l’armée gouvernementale d’alors, n’a jamais tiré un seul missile dans toute la guerre qui a duré d’octobre 90 jusqu’au 94. Jamais, il n’y a eu la moindre preuve que les FAR auraient eu des missiles en dépôt. Comment peut-on supposer que, soudainement, ils ont employé un missile pour cet attentat.
Par contre, le FPR avait effectivement des missiles et avait déjà employé un tel engin contre un avion de la compagnie Scibe Zaïre, de l’homme d’affaires Bemba Saolona, le père de l’ancien vice-président Jean-Pierre Bemba, dont il tente dans l’interview de se faire l’avocat devant la CPI.
En plus, le FPR contrôlait le terrain défendait son quartier général à Mulindi ainsi que le siège de sa radio, grâce à des missiles.
Paul Kagame s’est toujours opposé à une quelconque enquête sur l’attentat. Ce n’est que quand la justice française l’a mis en cause qu’il a mis en place « un comité d’Experts », uniquement rwandais, auquel il a commandé un rapport attendu en novembre de cette année et dont les conclusions sont déjà connues. Or, les restants de l’avion sont toujours là, mais ils sont bien gardés et surveillés par les soldats du FPR. L’ancien chef d’Etat-major de l’APR, Sam Kaka, a même poussé le cynisme jusqu’à organiser son mariage sur ce lieu, en octobre 1994. Mais une enquête n’a jamais été permise par le FPR. Et enfin, il y a une liste de témoins qui étaient au quartier général du FPR et qui disent que c’est bien Kagame qui a décidé d’abattre l’avion de Habyarimana.
Question : Est-ce que la France n’a pas une part de responsabilité dans ce qui s’est passé en 1994 au Rwanda ?
Jean-Baptiste Mberabahizi : La France était présente jusqu’en 1993. Puis, elle a envoyé des missions après l’attentat contre l’avion. Quelle que soit sa responsabilité, ce n’est pas à Kagame d’en juger, car sa part de responsabilité est beaucoup plus importante que celle de la France.
Pour casser le discours raciste qui est à la base du génocide, il faut une organisation qui se profile comme étant une organisation nationale qui défende les intérêts du peuple rwandais, sans distinction d’ethnie. Il tentait et tente encore de se faire passer pour une telle organisation.
Or, le FPR n’était pas et n’est toujours pas une organisation nationale et populaire. La direction n’a jamais fait un effort pour recruter des cadres hutus, hormis quelques recrutements cosmétiques. Elle n’avait aucun travail clandestin à l’intérieur du pays et n’avait aucun souci non plus pour les intérêts des paysans pauvres ou sans terre, qui avaient besoin de terre pour cultiver et des prix convenables pour leurs produits. Au contraire, dans les zones qu’ils ont occupées au nord du pays pendant la période 90-94, ils ont massacré ces paysans pour les chasser de leur zone.
Le FPR les traitait comme des ennemis. Il savait pertinemment bien l’état d’esprit des milices et des extrémistes hutus, et de quoi ces gens étaient capables et à quoi ils étaient disposés. Il les avait de plus infiltrés par des agents qui ont participé et encouragé les massacres.
Il savait qu’en cas de reprise des hostilités, ce qui était inévitable après l’attentat contre l’avion de Habyarimana, il y aurait des tueries à grande échelle et qu’il n’allait pas pouvoir protéger les gens. La vérité, c’est que chez les dirigeants du FPR, il y avait et il y a toujours un mépris pour la vie des Tutsis de l’intérieur.
Le FPR était surtout composé de Tutsi exilés. Le raisonnement était que « ce serait le sacrifice nécessaire pour obtenir la victoire ».
En plus, dans le camp du FPR, on regardait et on regarde toujours les Tutsis de l’intérieur comme des gens qui n’étaient pas des Tutsis « purs ». Beaucoup de ces Tutsis étaient mariés avec des Hutu ou vivaient ensemble avec leurs voisins hutus. Les gens du FPR les considéraient et les considèrent toujours comme des Tutsi dégénérés, voire même des « traîtres ».
Question : Le général Karenzi qui dirige la force de l’Union Africaine au Darfour, est fortement contesté et la justice espagnole a livré un mandat d’arrêt international contre lui. C’est aussi quelque chose qui irrite Paul Kagame.
Jean-Baptiste Mberabahizi : En effet, c’est notre organisation, les FDU, qui, dans un communiqué de presse du 13 août 2007, avait attiré l’attention des décideurs de l’ONU et de l’opinion sur le fait que Karenzi était suspecté de crimes très graves.
Nous avions attiré l’attention de l’opinion publique africaine et internationale sur les nombreux crimes bien documentés dans lesquels Karenzi joue un rôle central.
Nous avions nommé notamment les assassinats avant avril 94 de figures de l’opposition démocratique comme Gapyisi Emmanuel, président du " Forum Paix et Démocratie ", un membre influent du comité exécutif du Mouvement Démocratique Républicain, MDR, le plus important parti d’opposition d’alors. Ou encore Félicien Gatabazi, secrétaire exécutif du parti d’opposition PSD.
En tant que chef des opérations durant l’invasion de l’ex-Zaïre, Karenzi supervisa les massacres de réfugiés rwandais de 1996 à 1997. En tant que chef de la 2ème division couvrant les préfectures de Gisenyi et Ruhengeri, Karenzi participa également aux disparitions de nombreux réfugiés rescapés de l’ex-Zaïre qui avaient été forcés de retourner au Rwanda en passant par des camps de transit à Gisenyi, entre 1998 et 2000.
Nous avions conclu notre communiqué comme suit : " La nomination de Karenzi en tant que commandant adjoint d’une force de maintien de la paix au Darfour (Soudan) est une insulte à l’Afrique, au Soudan en tant qu’Etat, aux Soudanais du Darfour ainsi qu’à la mémoire des victimes rwandaises de ses forfaits. "
Question : Au sein de l’ONU, il y a de plus en plus des voix qui, sur base de la documentation sur ces crimes, demandent que Karenzi quitte le Darfour. Kagame répond dans son interview : " Si le commandant de la force est attaqué, c’est le Rwanda lui-même qui se sent visé et qui réagira en conséquence. Si Karenzi part, c’est tout le contingent rwandais qui quittera le Darfour ".
Jean-Baptiste Mberabahizi : Mais le Rwanda n’est pas attaqué.
Il s’agit d’une chose simple : le général major Karenzi est poursuivi pour des crimes qu’il a commis au Rwanda et au Congo. Ceci n’a strictement rien à voir avec une quelconque attaque contre l’Etat rwandais. Il a simplement le devoir de répondre de ses crimes-là.
Le problème, c’est que les juridictions du Rwanda ne sont pas crédibles. Se cacher derrière ce type de phrases consiste à simplement essayer de nier sa propre responsabilité.
Kagame exige de la France de répondre sur les accusations que sa commission a lancées, mais en même temps il refuse de répondre sur les mêmes types d’accusations. C’est tout à fait contradictoire.
Le général major Karenzi n’est pas poursuivi parce qu’il est Rwandais ou parce que la justice espagnole voudrait empêcher que sa mission au Darfour aboutisse. Karenzi est poursuivi par la justice espagnole pour des crimes qu’il a commis.
Au Rwanda il n’y a pas de démocratie, il n’existe pas de juridictions indépendantes des pressions de l’armée. Si de telles juridictions existaient, il pourrait être jugé au Rwanda même, mais ce n’est pas le cas.
Autre problème, c’est que les crimes qu’il a commis, il les a commis souvent sous la supervision de Kagame lui-même. Il est donc normal que Kagame se sente lui-même concerné par ces accusations, parce qu’il y a participé. Il veut s’assurer une totale impunité en employant le Rwanda comme un bouclier. Il l’a récemment confirmé, en faisant voter par la " chambre des députés " sortante, une modification de la Constitution rwandaise qui prévoit qu’un ancien chef d’Etat (rwandais) ne peut être poursuivi pour des crimes qu’il aurait commis quand il était chef de l’Etat que tant qu’il est en en fonction ".
Or, il sait très bien que tant qu’il est en fonction, il a les moyens de tordre le coup à tout magistrat national. Et qu’il bénéficie de l’immunité reconnu aux chefs d’Etats en fonction devant les juridictions nationales étrangères.
Il s’agit donc là d’une impunité éternelle pour lui-même qu’il a faite inscrire dans la Constitution rwandaise.
Question : Enfin Kagame s’est aussi exprimé lors de cette interview sur la guerre actuelle au Kivu.
Il dit : " Les Congolais aiment se présenter comme des victimes, d’innocentes victimes. En fait, ils ne sont pas des victimes, ils ont aussi une responsabilité dans tout ce qui se passe. " Il a d’abord parlé du Président Kabila, contre qui il aurait dit : " Voyez les problèmes qui se posent au Nord Kivu entre les Hutus, les Tutsi, les Banande, les Banyarwanda... J’ai l’impression que vous jouez avec cela, un jour cela finira par vous revenir au visage. "
Jean-Baptiste Mberabahizi : D’abord, notons ce ton arrogant et méprisant vis-à-vis du Président Kabila. Il prouve qu’il est tout, sauf un homme d’Etat.
Il est tout à fait inexact de jeter la responsabilité de la violence ethnique sur le dos des Congolais. Depuis très longtemps, les Congolais ont accueilli des Rwandais.
Déjà avant la colonisation, ils ont accueilli ceux qui devaient devenir les " Banyamulenge ".
Ensuite, au cours du 20eme siècle, à cause du travail forcé dit " Uburetwa ", imposé par les colonialistes.
Après l’indépendance, il y a eu les vagues de réfugiés qui fuyaient la violence ethnique au Rwanda, jusqu’au massacre des réfugiés qui ont fuit le Rwanda après le génocide en 94.
Jamais les Congolais n’ont employé la violence contre ces réfugiés.
Question : D’où vient le problème alors ?
Jean-Baptiste Mberabahizi : C’est le Rwanda qui a exporté ses contradictions ethniques en RDC. Si on laisse faire, demain ils pourront l’exporter aussi en Ouganda ou en Tanzanie.
Kabila a été élu avec 53% des voix. Or, il y a plus que 250 différentes tribus et groupes ethniques en RDC. Il n’existe pas de groupe ethnique majoritaire que le Président Kabila aurait ciblé pour obtenir ces 53% de voix. C’est l’Alliance pour une majorité présidentielle qui a battu campagne pour faire élire le président Kabila. On ne peut pas dire que cette alliance est une alliance ethnique. Au Rwanda cela n’existe pas, une telle alliance.
Le FPR n’est pas un parti national, c’est une organisation ethnique, qui ne représente qu’une minorité ethnique. C’est la raison pour laquelle Kagame ne pouvait pas tolérer des élections et qu’il a fait abattre l’avion du Président Habyarimana afin de faire sauter l’application de l’Accord d’Arusha qui allait aboutir à des élections au bout d’une brève transition de 22 mois. Kagame savait que le FPR ne pouvait pas les gagner.
Tous les pions de Kagame au Congo ont exactement le même problème. Le RCD-Goma n’était pas non plus un parti national.
Le RCD-Goma s’est formé trois semaines après l’invasion de la RDC par les troupes rwandaises. C’était une organisation " politico-militaire " qui n’existait que grâce aux corps expéditionnaire rwandais envoyé en RDC. Il se prétendait protecteur d’une ethnie minoritaire. Or, tous les groupes ethniques congolais sont minoritaires.
Le RCD-Goma n’a pas réussi à faire sauter le processus qui a abouti aux élections. C’est pourquoi, il a disparu en tant que force politique pertinente. Ruberwa n’a obtenu que 2 % des votes, y compris dans ses soi-disant " bastions de l’Est ".
Maintenant, il y a le CNDP qui poursuit les buts que le RCD-Goma n’a pas pu atteindre. Il est clair pour tout le monde que le CNDP n’est pas un parti national. Il ne parle que de la défense d’un soi-disant " peuple " tutsi. Comme le RCD-Goma, le CNDP n’est qu’une couverture pour les opérations de l’armée de Kagame en RDC, qui se fait passer pour une organisation regroupant les Congolais
" rwandophones ".
Son objectif est simple, c’est renverser le Président Kabila et si cela ne réussit pas, créer au moins un Etat tampon entre la RDC et le Rwanda, contrôlé par Kagame.
Question : Pensez-vous qu’avec la violence actuelle on évolue vers une nouvelle guerre ?
Jean-Baptiste Mberabahizi : Absolument. Que l’on ne se fasse pas d’illusions.
Premièrement, quand on regarde bien les endroits où les combats se déroulent, on constate que les trois axes qui donnent accès à la ville de Goma sont visés. C’est à dire : l’axe Goma-Rutshuru, l’axe Goma-Walikale et l’axe Goma-Bukavu via Minova. Cela veut dire que Kagame vise à asphyxier Goma et à prendre cette ville. Nous avions dénoncé ce plan déjà, il y a une année déjà.
Deuxièmement, le ton de l’interview de Kagame ainsi que les menaces directes qu’il profère contre la personne même du Président Kabila ne laissent aucun doute sur ses intentions. Enfin, le fait qu’il déclare qu’il n’ira pas à la Conférence Internationale sur la Sécurité dans la Région des Grands Lacs prouve qu’il n’a cure de la paix et de la sécurité et qu’il est en guerre.
Tout cela indique que dans sa tête, il n’y a plus de place pour la paix. Il est déjà dans la confrontation. Que l’on ne s’y trompe pas.
Tant qu’à Kigali, il n’y aura pas un gouvernement démocratique, la RDC n’aura pas la paix et l’Est de ce pays demeurera une poudrière.
Propos recueillis par Jean-Pierre Bourras
RDC : Francois-Xavier Beltchika a Mbuji Mayi pour vulgariser la constitution
Le Président National du CDPS et Président Exécutif de la CoPR a séjourné à Mbuji-Mayi du 11 au 16 juillet 2016.
Au cours de cette visite, il a échangé avec la population et abordé sans tabou les différents points d'actualité suivants:
- le pourquoi de la création du CDPS
- la rencontre avec Etienne Tshisekedi à Bruxelles en mai 2016
- la vulgarisation de la constitution de la RDC
- le sens des articles verrouillés dans la constitution
- la nécessité pour les congolais de connaitre et défendre ses droits
- la nécessité en tant que citoyen de remplir ses devoirs et défendre toutes les dispositions de la constitution.
Veuillez donc suivre l’intégralité de sa visite à travers les images ci-dessous :
Tshikas
RDC: La classe politique glisse. l'heroique Peuple Congolais reste vigilant
Baza ya ko yebela!!!
Vaillant Peuple RD Congolais,
Les discussions sont en cours. Un accord consacrant le glissement jusqu'en décembre 2017 est proche. Certains d’entre nous sont dubitatifs.
Nos frères et fils sont-ils morts pour rien?
Perplexes, embarrassés, inquiets, désorientés... beaucoup d'entre nous se demandent si le jeu en valait la chandelle.
Un sentiment d’échec nous écrase. Notre « YEBELA » n'a pas été capable de mettre l'imposteur « WUMELA » hors d'état de nuire.
Et pourtant, ta victoire Peuple Congolais est éclatante!
Ta victoire est resplendissante, vaillant Peuple Congolais. Sinon, ils ne s’empresseraient pas de négocier comme ils le font.
Tu n'es pas un Peuple amorphe, peureux, insouciant, défaitiste. Depuis les trois glorieuses de janvier 2015, tu prouves ce que tu es véritablement : un Peuple déterminé.
Tu combats, tu t'affirmes, tu fais reculer et démentir les stratèges du honteux « WUMELA ».
Tu mérites le respect, car tu as su affronter, à main nue, et pendant deux jours durant, cette armada de militaires professionnelles qui quadrillaient nos villes.
La veille du 19 décembre 2016, la RDC était en état de siège. L’artillerie militaire déployée était impressionnante. Les menaces du chef de la police et des autres autorités étaient claires; Les manifestants sont des ennemis à éliminer!
Internet Coupé, leaders de l’opposition sur écoute, députés et hommes d’opinion bâillonnés, arrestations brutales et arbitraires, enlèvements et séquestrations… Rien n’était laissé au hasard pour te mater, pour te réduire au silence.
Terroriser l'ennemi, cet ennemi sans arme, était leur objectif ultime.
Face à cette force disproportionnée, tous était convaincu de ta capitulation.
Nenni, contre toute attente, tu as pu te tenir dignement debout et faire mentir les stratèges politiques et militaires de « wumelistes ». A la Mamadou Ndala, tu as terrorisé les terroristes. A la force brutale, tu as opposé un concert des casseroles et des coups de sifflets. L’adversaire se trouva subitement en déroute. Désarçonné, il n’était plus capable de contrer ton élan de liberté.
Les conquistadors sanguinaires au pouvoir étaient décontenancés. Les wumelistes ont douté, reculé…
Le matin du 20 décembre 2016, ils sont devenus fous!
L'artillerie a été lancée. Nos héros ont résisté à main nue.
Le Peuple Congolais est exceptionnel. Le pouvoir a été défié, il a chancelé.
Je suis fier de toi, Peuple vaillant. Tu as défié le terrorisme d’état et militaire de ces mercenaires au pouvoir. Ton courage et détermination sont un cas d’école. Ton armée, sensée te soutenir, t’a bâillonné et violenté.
Mais, tu es resté déterminé.
Tu es de la descendance de Kimpa Vita.
Les conquistadors sanguinaires sont devenus fous. Ils ont paniqué et leurs stratèges ont choisi de détourner ton attention en publiant le gouvernement fantoche de Badibanga.
Le Tshaku national, menteur né, a même osé expliquer ton concert de vacarmes de la veille comme un acte de soutien a Badibanga. Ils sont devenus fous !
Peuple vaillant, tu as fait trembler cette armée des mercenaires tortionnaires.
Ils paraissent arrogants, mais cachent mal leur peur bleue.
Malheur ! Ils ont même l’indécence de faire la guerre de chiffres de nos morts. Qu'ils sachent qu'un seul mort congolais, juste un seul... est un mort de trop. Nos martyres sont nos héros. Leur sacrifice est une expression de courage pour notre nation. Leur sang n’arrêtera pas de crier justice.
Tu les as vaincu fils digne du Congo. Ton sacrifice n’a pas été vain
Tu es digne et tu reste debout.
Laisse-les glisser. Laisse les glisser seuls...
Ba ko semuluka jusqu'à fuir le Pays de Kibangu.
Laisse-les glisser et signer leur accord. Mais reste vigilant.
Le mot d'ordre du leader Maximo sonne d’ailleurs comme une véritable prophétie : « Reste Vigilant! »
Reste vigilant et mobilisé pour que cet accord ne soit jamais une prime aux flatteurs, aux politiciens arrogants qui t’ont injurié et ont ri de tes morts, aux tortionnaires de nos services de renseignement qui t’ont bâillonné…
Reste vigilant pour que cet accord n’efface pas notre mémoire collective et que l’on n’oublie jamais ceux qui ont comploté contre nous.
Laisses les glisser ti ba semuluka.
Toi, reste debout, digne et vigilant.
Tu es un héros, Peuple vaillant de la RDC.
DBL