RDC–Rwanda : l’accord de Washington, entre espoirs de paix et pièges diplomatiques
Une paix sous conditions : l’ambiguïté d’un accord déséquilibré
La signature, le 27 juin 2025 à Washington, d’un nouvel accord de paix entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, sous l’égide des États-Unis, a été saluée comme une avancée historique par plusieurs chancelleries occidentales. Porté par l’administration Trump, ce texte nourrit un espoir palpable parmi les Congolais, épuisés par trois décennies de conflits dans l’Est du pays. Pourtant, derrière les poignées de main et les discours apaisants, une question cruciale demeure : cet accord marque-t-il réellement un tournant vers la paix durable, ou constitue-t-il un nouveau piège, perpétuant les déséquilibres régionaux au profit de Kigali et de ses alliés ?
L’accord prévoit une série d’engagements mutuels : retrait progressif des troupes rwandaises, neutralisation des FDLR, cessation du soutien aux groupes armés, création d’un mécanisme conjoint de surveillance (JSCM), relance économique régionale, et retour des réfugiés. Autant d’éléments positifs en apparence, mais dont l’analyse révèle de nombreuses zones d’ombre.
La principale faille du texte réside dans la conditionnalité du retrait rwandais, liée à la neutralisation des FDLR. Or, cette milice hutu, autrefois redoutée, est aujourd’hui moribonde. Des rapports onusiens et indépendants confirment que ses capacités militaires sont désormais marginales. Pourtant, le Rwanda continue de s’en servir comme prétexte récurrent pour justifier son intervention militaire en RDC. En acceptant cette clause, Kinshasa s’enferme dans une logique asymétrique, dépendant de la "bonne foi" d’un voisin accusé – de manière crédible – de soutenir activement le M23. Ce soutien, bien que systématiquement nié par Kigali, est largement documenté, alors que la RDC, elle, reconnaît explicitement la présence résiduelle des FDLR sur son sol.
Les angles morts de l’accord : M23, impunité et surveillance floue
L’une des lacunes les plus troublantes du texte est l'absence d’une mention claire du M23, renvoyé à un processus de négociation parallèle, piloté depuis Doha. Cette fragmentation diplomatique affaiblit l’accord, en permettant au Rwanda d’éluder toute responsabilité directe vis-à-vis d’un groupe armé qui continue de semer la terreur dans les provinces du Nord-Kivu.
Par ailleurs, le mécanisme conjoint de sécurité (JSCM) manque cruellement de garanties d’impartialité. Sans la présence d’observateurs indépendants – de l’ONU, de l’Union africaine ou d’organisations de la société civile – ce dispositif risque d’être dominé par le renseignement rwandais, mieux structuré et mieux financé que celui de la RDC. Kinshasa pourrait donc se retrouver marginalisé dans l’évaluation même du respect des engagements.
Coopération économique ou recolonisation stratégique ?
Le volet économique de l’accord, présenté comme un pilier de stabilisation régionale, soulève lui aussi des préoccupations. Sous couvert de partenariats miniers, environnementaux et énergétiques, le texte prévoit l’entrée de nouveaux investisseurs, notamment américains, dans les zones riches en minerais dits « critiques ». Mais dans un contexte où la RDC ne contrôle qu’imparfaitement ses ressources, cette dynamique pourrait aggraver l’extraversion de son économie et légaliser indirectement les circuits d’exportation illicites dominés par Kigali.
Il est légitime de s’interroger : pourquoi le Rwanda, qui exploite depuis des années les minerais congolais de façon informelle et sans partage, accepterait-il soudainement un cadre légal transparent ? La réponse est simple : blanchir son image internationale, diversifier ses sources de revenus et institutionnaliser son influence dans l’Est congolais.
Un accord sans contraintes : le piège de l'impunité
À l’instar des accords de Lusaka (1999), Sun City (2002) ou Addis-Abeba (2013), le texte de Washington souffre d’un défaut majeur : l’absence de mécanismes de contrainte. Aucune sanction automatique n’est prévue en cas de violation. Aucune instance indépendante n’est chargée de vérifier l’exécution. Aucune disposition ne prévoit réparation pour les victimes congolaises.
Le Rwanda a maintes fois violé ses engagements passés sans en subir de conséquences. Pourquoi cette fois ferait-il exception ? La RDC, en l'état, n'a pas les moyens de garantir l'application de l'accord ni de répondre efficacement à une nouvelle trahison.
Les quelques gains possibles pour la RDC
Il serait néanmoins réducteur de nier toute utilité à cet accord. Certains avantages potentiels existent :
- Reconnaissance internationale du conflit, en particulier par les États-Unis ;
- Engagement, même conditionnel, au retrait des troupes rwandaises ;
- Annonce d’un arrêt du soutien rwandais au M23 ;
- Création d’un mécanisme bilatéral de surveillance (JSCM) ;
- Cadre de relance économique régionale ;
- Réintégration éthique des combattants, visant à éviter l’impunité des criminels de guerre.
Mais ces avancées restent fragiles, dépendant d’une volonté politique constante et d’un changement de rapport de force.
Stratégies pour une paix réelle : ce que la RDC doit exiger
Pour transformer ce texte en véritable levier de paix, Kinshasa doit impérativement :
- Internationaliser le suivi, en exigeant un envoyé spécial de l’ONU, et en impliquant l’Union africaine et la CIRGL comme garants ;
- Renforcer sa souveraineté dans l’Est, via une réforme profonde des FARDC, une reprise effective de l’administration territoriale et la neutralisation des infiltrations ;
- Judiciariser les violations, en saisissant la CPI pour crimes de guerre, en traquant les circuits de contrebande minière, et en durcissant les lois sur l’exportation des ressources ;
- Mobiliser un front diplomatique africain, en s’alliant à l’Angola, l’Afrique du Sud et la Tanzanie pour isoler Kigali ;
- Construire une économie plus souveraine, en relançant la transformation locale des minerais et en maîtrisant les chaînes d’approvisionnement nationales.
Conclusion : un accord utile, mais pas une libération
L’accord de Washington est, au mieux, un outil diplomatique pour désamorcer un conflit régional profondément enraciné. Il offre un cadre de discussion, une tentative de désescalade. Mais il ne garantit rien : aucun mécanisme de sanction, aucune instance indépendante de suivi, aucun désarmement clair du M23. Il repose sur le même postulat qui a échoué par le passé : espérer un changement d’attitude sans créer un rapport de force.
Il serait naïf de croire qu’un texte, même signé à Washington, suffira à garantir la paix dans l’Est du Congo. La paix durable exige bien plus qu’un accord : elle exige un État. Un État stratège, capable de reconquérir son territoire, de réformer son armée, de briser les réseaux de prédation, de rendre justice et de faire entendre sa voix dans le concert des nations.
La RDC ne peut plus continuer à négocier sa souveraineté comme une variable diplomatique. Elle doit imposer sa légitimité, non pas en paroles, mais par des actes forts, coordonnés et cohérents. Tant que Kinshasa laissera d’autres définir les règles du jeu, Kigali avancera, masqué sous les textes creux et les accords temporaires.
Il faut cesser de croire que la paix est un don.
La paix est un droit, et comme tout droit, elle se conquiert.
Non par des promesses venues d’ailleurs, mais par une volonté nationale ferme, une diplomatie offensive, et un État debout.
Par Bangudi Papy Dishueme
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