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Sizimwe ou chronique de la mort trop souvent annoncée de Laurent Nkunda. (CF)

Dans les contes du Burundi, « Sizimwe » est un monstre, sorte d’ogre ou de Croquemitaine, dont le nom signifie à peu prés « celui qui n’est pas vraiment un être vivant ». Laurent Nkunda semble bien en passe de devenir un personnage de ce genre, ce qui prouverait , à défaut d’autre chose, sa fidélité aux cultures des Grands Lacs.

D’abord, retraçons l’histoire de ces divers « effets d’annonce » :

 

Le 16 septembre 2008, le site congolais « Beni-Lubero on line » publie un article suivant lequel Laurent Nkunda serait dans un état critique (quant à savoir s’il serait malade ou blessé, les choses sont un peu floues) à Kitchanga, quelque part dans le Masisi et serait soigné par des infirmiers congolais dont l’article souligne le dévouement et les hauts principes humanitaires. L’article est signé de Rigobert Kanduki, qui n’a rien d’un farceur.

 

Fin septembre et début octobre, l’information, sur laquelle les Congolais avaient d’abord fait l’impasse, est reprise par des médias internationaux, notamment par Colette Braeckman, du Soir et passe de là dans les journaux congolais. Le mal dont est atteint Nkunda reste toujours aussi vague, mais on précise qu’après une tentative pour l’évacuer vers le Rwanda, qui a trouvé le personnage trop compromettant, il est finalement hospitalisé à Kampala, en Ouganda.

 

Pendant toute cette période, le CNDP reste muet sur le destin de son chef et continue son train-train habituel : incidents violents entrecoupés de la revendication- par des porte-paroles autres que Nkunda- de « discussions directes en pays neutre ». Du côté de Kinshasa, où l’on commence à se détourner des atténuations et faux-fuyants pour mettre en cause ouvertement le Rwanda, la tendance dominante est de dire que la mort de Nkunda serait un non-événement, car le Rwanda le remplacerait aussitôt par un autre figurant.

 

Le 2 octobre, Nkunda est interviewé par la BBC. Il y a autour de cette interview au moins deux circonstances que je ne veux pas traiter de « suspectes » mais qui sont à tout le moins spéciales. 1) Si l’on précise que l’entretien a eu lieu en Ouganda, toute autre précision est absente. Dans sa version écrite, sur le site BBC-News, le texte commence abruptement à la première question, sans le « chapeau » presque d’usage, qui présente le personnage et précise les circonstances de l’entretien. 2) Nkunda annonce que le CNDP ne se propose plus, comme auparavant de « défendre les Tutsi du Congo contre les FDLR », mais se transforme en mouvement de libération nationale et veut désormais renverser Joseph Kabila. Assertion appuyée par une conférence de presse du CNDP à Bruxelles, qui tourne à la mêlée confuse, et pendant quelques jours, par des bulletins d’info de ce même CNDP/Bxl à propos des opérations militaires, sur Internet. En arrière-plan, circulent des documents favorables à une sécession du Kivu, qui ont droit au soutien de « The New Times », journal de Kigali qui reflète les vues du gouvernement Kagame et à des propos favorables sur certains blogs nord -américains. Dans l’Est, quelques politiciens annoncent qu’ils adhérent à ce programme.

 

A ce stade, il n’y a pas de contradiction absolue entre les informations reçues. Nkunda peut avoir été blessé ou être tombé malade en septembre dans le Masisi, avoir été évacué vers Kampala (avec ou sans un « crochet vers Kigali) et avoir accordé une interview à l’hôpital !

La perplexité concerne plutôt la nature et le programme du CNDP, dont on ne sait plus , d’après ses propres dires, s’il est le « protecteur des Tutsi en détresse », un mouvement séparatiste kivutien ou un mouvement de contestation globale visant à renverser Kabila !

L’affaire se corse par après. Nkunda ne fait jamais aucune apparition (photo ou vidéo) mais proclame par téléphone qu’il est « en bonne santé ». Ses interlocuteurs (BBC, AFP ou RTBF) font toujours état de communications téléphoniques avec l’Ouganda. Mais il faut bien dire qu’une voix au téléphone est un indice assez faible de l’identité exacte de l’interlocuteur qui parle à l’autre bout du fil ! Une chose cependant est claire : le vrai Nkunda ou le faux Nkunda qui parlait au téléphone tenait, à c moment là, à faire savoir que Nkunda était bien vivant !

 

Enfin, hier, il y a l’envoi à divers destinataires (non seulement des médias, mais, à ce qu’il semble, même des particuliers congolais très actifs sur Internet) d’un communiqué du CNDP annonçant le décès du « Chairman » et l’intérim de Bosco Ntaganda.

Dans le Soir, Colette Braeckman, sans être totalement affirmative, inclinait plutôt à considérer la chose comme relevant plus de « l’intox » que de « l’info ».

 

Dés lors, que croire ?

 

Première constatation : on ne voit pas en quoi le CNDP aurait intérêt à faire passer son chef pour mort, s’il ne l’est pas. Si cette mort pouvait déstabiliser quelque chose, ce serait plutôt à son détriment. Encore que, si l’on considère le CNDP avant tout comme une « trottinette » rwandaise que comme un mouvement autonome, la chose ne serait qu’un événement négligeable. La seule mort susceptible de le déstabiliser vraiment serait celle de Kagame !

 

Autre fait curieux : alors qu’il y avait un enchaînement logique jusqu’ici (Nkunda malade était transporté en Ouganda et s’efforçait en se manifestant par téléphone de dissimuler la gravité de son état), la chaîne est désormais rompue, puisqu’il serait mort à Kigali de façon subite, d’une crise cardiaque.

Une hypothèse vient aussitôt à l’esprit : le mensonge ne porterait pas sur le fait, mais sur la date. Nkunda serait bien mort, fin septembre, dans le Masisi, ou début octobre en Ouganda, mais l’on aurait dissimulé sa mort par différentes manœuvres, dont un certain nombre de coups de téléphone aux médias, pour que la nouvelle de sa mort n’intervienne pas pendant une période de combats. Elle n’uarait peut-être pas démoralisé les Nkundistes, mais elle aurait certainement « dopé » les FARDC !

 

Durant cette période d’incertitude quant au sort de Nkunda, le flou a régné sur les intentions du CNDP. Selon certaines sources, le mouvement était en train de se transformer en une organisation politique hostile au pouvoir de Kinshasa et désireuse, sinon de le renverser du moins de négocier sur un pied d’égalité. La présentation de cette nouvelle formation aurait pu se faire à Goma après l’entrée des troupes rebelles dans la ville. Des pourparlers préparatoires auraient eu lieu dans la ville frontalière de Gisenyi, rassemblant Patient Mwendanga un ancien gouverneur du Sud Kivu passé dans le camp de la rébellion, le Dr Oscar Kashala, un médecin vivant aux Etats-Unis qui s’était porté candidat aux élections présidentielles et Katebe Katoto, un homme d’affaires d’origine katangaise. Cependant, des dissensions de dernière minute auraient opposé ces personnalités. Mais simultanément, on parlait sécession du côté de Bunagana et l’on chantait aussi la vieille chanson des « Tutsi en danger à cause des génocidaires du FDLR ».

Le « communiqué » revient lui, à cette ligne initiale et ne cache même pas son intention de faire appel à un « pays voisin et ami ». Bref, c’est la ligne pro-rwandaise pure et dure. On pourrait même dire que c’est plus dur et plus pur que jamais. Il est vrai que si Nkunda est un Congolais équivoque, Nataganda, lui, est tout simplement un Rwandais bon teint.

Il y a donc toute apparence d’une clarification quant au choix d’une ligne parmi ces trois lignes contradictoires. Et quand on élimine une ligne politique, la question se pose de savoir si l’on n’élimine aussi, physiquement, ceux qui en étaient partisans. La « crise cardiaque » de Nkunda était-elle naturelle ? Ou Kagame a-t-il « jeté » un accessoire encombrant ?

 

Il faut cependant prendre en compte une autre hypothèse encore. Le but de toute l’opération pourrait être de faire disparaître du décor un Nkunda toujours bien vivant. Au moment des entretiens de Nairobi, l’hypothèse avait été envisagée de proposer à Nkunda un exil doré qu’il avait officiellement refusé. Officiellement, oui… Mais encore ? …

Il va de soi qu’un seigneur de la guerre ne se retire pas des affaires comme un cafetier qui remet son établissement ! Il laisse derrière lui bien des rancœurs et des désirs de vengeance. Passer pour mort et renaître assez loin de là sous une nouvelle identité est dans son cas chose très souhaitable, et ce n’est pas au-dessus des moyens d’un service secret bien outillé… la CIA, par exemple.

 

© Gut De Boeck, le 31/10/2008



31/10/2008
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